« En finir avec le mythe du bonheur au travail ».
« Le bonheur au travail, une hypocrisie managériale ? »
« Les 6 recettes pour le bonheur au travail »
« Bonheur au travail : mythe ou réalité ? »
« Bonheur au travail : utopie ou effet placebo ? »
Ce sont les premiers titres des 244 000 000 articles qui sont apparus sur mon moteur de recherche quand j’ai tapé : « bonheur au travail ». C’est dire que le sujet fait la manne des magazines, et qu’il devient pour le moins clivant.
Il est vrai que le sujet même du bonheur est au cœur des débats des grands philosophes depuis 2000 ans et que chacun y est allé de sa théorie. Donc pas étonnant que le sujet fasse couler de l’encre quand on le contextualise au monde du travail.
Depuis quelques années, la fonction de Chief Happiness Officer est apparue dans les entreprises. S’agit-il juste d’un petit glissement sémantique ? d’une nouvelle « vision du monde » loin d’être anodine ? Peut-on/doit-on faire le bonheur des employés ?
Quelle est la responsabilité des RH et du coup des coachs vis-à-vis des employés ?
Sommes-nous tombés dans des rôles de Sauveur / Persécuteur comme le suggère la philosophe Julia de Funès qui dénonce le glissement d’un ancien mode de management du père-contraignant vers un nouveau mode de management de la mère-surprotectrice ?
Bref, il est temps pour nous les accompagnants, de nous interroger sur d’éventuels angles morts ….
En effet, en tant que coach en milieu professionnel, coach en transition professionnelle, en tant que DRH, ou même formateurs en management, notre quotidien est de travailler sur les problématiques d’efficacité et de bien-être au travail. Devons-nous pour autant céder à la « mode » actuelle et parler de bonheur ?
Serions-nous à notre insu en train de renforcer l’injonction au bonheur au travail que critiquent Julia de Funès et Nicolas Bouzou dans leur ouvrage « La comédie (in)humaine” publié en octobre 2018 ? Selon eux, le business model du coaching et des consultants en QVT repose sur cette injonction malsaine.
Je pense comme Julia de Funes que « Faire du bonheur une condition de performance, c’est se tromper de causalité et tomber dans une dangereuse injonction au bonheur”. En incitant les salariés à être heureux au travail, on risque de culpabiliser ceux qui ne parviennent pas à l’être ».
Néanmoins, comme Nicolas Bouzou le souligne, il est indiscutable « que l’augmentation de l’intérêt en entreprise pour la thématique du bonheur est liée à un manque d’implication des salariés. Un salarié heureux est un salarié motivé et efficace ». Pourtant, selon lui, ce concept n’est qu’une idée non-appliquée qu’utilisent les employeurs pour faire rêver leurs employés. Une multitude d’études ont effectivement montré que des employés heureux induisent une productivité accrue et des performances durables. On sait même calculer les coûts du mal être des employés et on commence à essayer de calculer les bénéfices du bien-être.
Donc ne cherchons pas le bonheur comme condition sine qua non de la performance mais plutôt l’inverse. En cela je rejoins Alain Cardon qui, avec sa verve légendaire, nous assenait sa vérité sous forme de métaphore sportive lors de ma formation de coaching : « une mauvaise équipe de rugby aura beau faire 12 000 3éme mi-temps, elle n’en gagnera pas plus ses matches. Qu’ils apprennent d’abord à se faire des passes efficaces et à construire un jeu collectif ».
Il est parfaitement légitime de chercher à créer les conditions de motivation des employés sauf que le terme « bonheur » est excessif.
C’est en tout cas un pas que Julia de Funès se refuse de franchir. « On ne peut pas parler de bonheur au travail car le bonheur est du ressors du privé. Ce concept serait une ‘hypocrisie managériale’. En effet, il est impossible de gérer le bonheur des autres étant donné qu’il est indéfinissable, subjectif. De plus le bonheur est un état passager qui dépend d’autres personnes que celles du contexte professionnel. On observe une corrélation directe surprenante entre l’accroissement du thème du bonheur en entreprise et l’augmentation des risques socio-professionnels. Cela témoigne d’une inefficacité des moyens mis en place. »
Arrêtons les réflexions stériles : bonheur ou bien-être ? Qui induit l’autre ? l’Efficacité ou Bien-être ?
Nous n’avons pas le temps de passer la décennie à savoir qui est l’œuf de la poule alors qu’il est urgent d’agir. Ne restons pas dans une dichotomie typiquement occidentale et linéaire. Refusons la dictature du OU. Adoptons plutôt la pensée cyclique orientale : je propose de réconcilier tout le monde et prône le ET. Efficacité ET bien-être.
Concentrons-nous plutôt sur les facteurs qui permettent aux employés et aux entreprises de s’épanouir pour les premiers, d’innover et pérenniser leurs activités pour les deuxièmes.
En passant, gardons-nous de basculer dans le positivisme extrémiste voire l’angélisme qui consistent à vouloir voir le verre à 100% plein et à éviter tous les aspects négatifs d’une situation.
Alison Beard dans le Hors-Série 2018 Harvard Business Review de Août Septembre 2018 affirme d’ailleurs que « ne pas se sentir heureux n’est pas négatif et stérile, mais réaliste et productif ».
Elle souligne pour étayer ses propos, les récents ouvrages en psychologie positive de Todd Kashdan et Robert Diswas-Biener «Beyond Happiness : the Upside of your Darkside » qui s’insurgent contre notre obsession moderne de nous sentir heureux et penser positivement de façon caricaturale. Entendons-nous bien : il n’est pas question de récuser l’aspiration légitime de chacun à avoir une vie heureuse de manière générale.
En fait, selon Alison Beard il faut juste abandonner l’idée que « le bonheur quotidien, sinon permanent, est un moyen d’épanouissement à long terme ».
Certes, proposer des crèches d’entreprises, des conciergeries, des moments conviviaux, des baby-foot facilite la vie des employés, mais en aucun cas, cela réduira un mal être induit par de mauvaises conditions de travail.
D’où l’intérêt de regarder précisément les facteurs qui contribuent à ce bien-être.
C’est ce que font par exemple les canadiens depuis dix ans avec l’indicateur IBL-T qui mesure le bonheur au travail. Développé en 2009 puis bonifié en 2018 par un certain Léger (d’où le « L » dans l’acronyme) cet indicateur se veut « un diagnostic précis » du capital humain permettant d’évaluer le bonheur des employés en entreprise. Il s’appuie sur six facteurs : la réalisation de soi, les relations de travail, la reconnaissance, la responsabilisation, la rémunération et le sentiment d’appartenance. Il évalue également huit grandes dimensions : l’ouverture, la civilité, l’organisation du travail, la collaboration, l’équité, l’avancement, le dynamisme, la conciliation travail-vie personnelle.
Parmi les pistes de solutions pour améliorer l’IBL-T, sont citées l’écoute et la consultation des employés, l’implication de l’effectif dans les processus décisionnels et la conciliation travail-vie personnelle.
Et c’est là que je retombe sur mes pieds de coach d’équipe et d’organisation : je crois sincèrement que notre mission de coaches est de créer les conditions de dialogues féconds et authentiques au service des relations au travail et de l’efficacité de tous. Je retombe aussi, je l’avoue, sur mes pattes de militante des outils Points of You® ! A fortiori parce que les cartes Points of You® s’appuient sur un langage universel : le langage de l’image et qu’elles permettent de dresser en peu de temps un bilan de toutes les situations en faisant collaborer les employés sur les vrais enjeux de leur entreprise.
Et pour obtenir un bilan le plus exhaustif possible ne nous compliquons pas la vie : 2 questions simplissimes : « quel est le verre à moitié plein ? « quel est le verre à moitié vide » de telle ou telle situation selon vous ? Et faites confiance au processus : les images, les perceptions de chacun, votre talent de facilitateur et de coach feront le reste.
En guise de conclusion : amis coaches internes ou externes, amis des RH et formateurs, ne promettez pas forcément le bonheur !
Prenez juste vos jeux The Coaching Game, Punctum et Faces et concevez pour vos clients des ateliers de dialogues authentiques et constructifs où l’écoute des uns et des autres et le partage des points de vue permettront :
1/ de développer les relations de travail et nourrir le sentiment d’appartenance,
2/ de contribuer à la recherche de solutions et nourrir le besoin d’autonomie de tous.
3/de développer des visions partagées et nourrir le besoin de sens.
Et si c’était ça la recette du bonheur ou du moins de la motivation ? des liens + du sens + de l’autonomie ?
Et pour finir, n’oublions pas les coachs qui pratiquent surtout le coaching individuel, leur rôle est primordial. Aider leurs clients à se prendre en main, à décider pour eux ce qui fait sens, à mieux prendre en compte leurs émotions et à déterminer quelles sont vraiment leurs aspirations, les 3 dimensions du Bonheur Au Travail selon le modèle de la Fabrique Spinoza.